vendredi, septembre 23, 2005

Les grèves

J'ai longuement hésité avant de poster ce message. Car s'attaquer aux grèves est un exercice périlleux, tant l'on considère que la grève est sacrée. Tentons quand même, et plongeons-nous dans l'étude de ce désormais inéluctable évènement trimestriel.

Qu'on ne me fasse pas dire ce que je n'ai pas écrit : le droit de grève est important. Il s'agit du droit d'exprimer son profond désaccord, à tel point qu'on ne veut plus travailler en étant conscient que cela entraine le non-paiement ! Mais alors, qu'est-ce qui me gêne dans les grèves ?

Je passerai rapidement sur le fait que l'utilisation systématique de la grève nuit à son impact, puisqu'elle passe du statut de dernier recours à celui de premier moyen. C'est un lieu commun, alors poursuivons sur ce que je hait plus particulièrement.

D'abord, je ne cesserai jamais d'être ébaubi par l'aplomb avec lequel les grévistes considèrent que le droit de grève est aussi le droit d'immobiliser les biens de productions. Depuis que la grève existe, les mises au piquet et la conspuation des « jaunes » viennent affirmer le mépris le plus total du droit d'autrui. Car il faut l'admettre : il y a toujours quelqu'un de plus malheureux que soi, qui ira travailler (probablement pour plus cher, d'ailleurs), amenuisant l'impact de la grève par rapport à une immobilisation totale. Oui, mais voilà, c'est légitime.

À moins que l'on ne change radicalement d'orientation politique - mais ce n'est pas la tendance ; et finalement ceux qui s'en réclament voient leurs velléités démocratiques s'amenuiser quand la volonté de la majorité ne va pas dans leur sens - chacun est libre de travailler, et d'une certaine façon puisque le mot d'ordre est que nous vivons dans une société de consommation, on est libre de consommer le travail qui nous plait. S'il ne plait plus à certains, il plaira à d'autres ; et s'il ne plait plus à personne, il disparaitra, ou sera revalorisé.

En conséquence, le service minimum dans les transports en commun, par exemple, me semble tout à fait nécessaire. Le coût en sera du reste élevé ; mais il assurera la bonne santé de la société. L'utilisation de la grève comme moyen de pression non plus sur le seul employeur, mais sur la masse populaire me fait toujours penser à une violente altération de la démocratie. En particulier quand la grève se termine par la demande du paiement des jours grévés.

Alors le prochain qui fait grève, je le plante à son piquet !

6 commentaires:

Anonyme a dit…

Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire, je fais très peu grève pour un motif fort simple : étant enseignant dans un secteur particulièrement défavorisé, je considère que la grève, d'une part, ne fera que rapporter de l'argent à l'Etat qui me retiendra mon salaire, (je ne produis pas de richesses) d'autre part pénalisera des élèves qui ont vraiment besoin de moi ; je déléguerais bien mon droit de grève à tous les enseignants de Janson de Sailly, Montaigne, Racine, Sc Po, l'ENA, etc. en cotisant pour qu'ils soient indemnisés : cogner là où ça fait mal aux décideurs, pas aux victimes.

Cela dit, faisant PEU grève, je ne supporte pas que l'on touche à ce droit imprescriptible, même quand excès il y a. Non gréviste déclaré, si je vois à mes côtés des personnes subir des pressions pour faire comme moi, je me transforme en jusqu'au boutiste acharné. C'est pavlovien.

Parce que dans notre beau pays où il est de bon ton de reprocher aux syndicats leur manque de culture de la négociation, RIEN n'a jamais été obtenu, en matière de progrès social, autrement que par la lutte ou la création d'un raport de forces tel que la menace de cette lutte suffisait (je pense à la Libération, où le patronat était si gravement compromis qu'il a pu céder sans qu'on le pousse aux reins... et je rappelle que c'est Thorez en personne qui a remis les mineurs au boulot, dans ces circonstances exceptionnelles en leur disant qu'en ces temps difficile, "chaque fois qu'une équipe de mineurs néglige son travail, il y a quelque part une maman qui se demande comment faire chauffer le biberon de son bébé, et que c'est inacceptable"

Même faire cesser le travail des enfants de moins de 12 aans les mines, c'était "économiquement impossible" en son temps.

Soyez assuré que vivant dans un DOM où la grève est la norme et le travail l'exception, je souffre certainement plus que vous de ces errements. Il n'empêche que je les trouve anodins si on les compare à la catastrophe que représenterait sa limitation. (vous préférez le recours au sabotage clandestin, comme aux USA?)

Baygon Jaune a dit…

Je ne suis pas fondamentalement pour des limites au droit de grève ; je suis juste foncièrement contre la transformation du droit de grève en droit d'immobilisation du bien de production, comme cela se fait de plus en plus (exemple encore avec la SNCM).

Ensuite, je ne peux m'empêcher de me dire que la grève remplace souvent la démocratie : une minorité soulève un débat et, *de force*, obtient gain de cause, là où la classe politique, *élue par la majorité des citoyens* aurait agit autrement s'il n'y avait pas eu immobilisation totale du pays.

Anonyme a dit…

Eh oui, mais je reprends mon exemple précédent : c'est UNE MINORITE qui a obtenu l'interdiction du travail des enfants dans les mines ; la majorité, aveuglée par sa misère quotidienne, ne voyait que la ressource à court terme qu'elle perdrait, pas le pari (réussi) sur l'avenirque représenterait la scolarisation universelle.

Créez un service minimum : en pratique vous abolissez le droit de grève. Donc vous susciterez des réactions nihilistes, de sabotage voire de terrorisme. Remède pire que le mal.

Cela dit, je suis bien d'accord pour condamner certains excès... Nous ne divergeons que sur les moyens de remédiation à y apporter.

Anonyme a dit…

Puisque la catégorisation des notes permet leur remontée, je vais rajouter un argument, à propos des "jaunes"

Pourquoi ne créerait-on pas une catégorie de non grévistes qui s'honorerait de ne pas bénéficier des avantages obtenus par ceux qui ont perdu une parie de leur salaire, se sont déconsidérés auprès de leur hiérarchie, etc.?

Tiens. Un plan social prévoit 150 licenciements secs dans une entreprise, et environ la moitié des salariés se met en grève pour tenter de sauver l'emploi.

Qu'en cas d'échec du mouvement (soit parce que le plan était inéluctable soit parce que le patronat était particulièrement combatif), il soit inscrit dans les textes que les licenciements secs seront opérés parmi les jaunes, qui en ne faisant pas grève les approuvaient de facto...

Baygon Jaune a dit…

C'est absurde : ça signifierait que faire grève mettrait forcément hors d'atteinte du licenciement.

Par contre, que pour des acquis tels que l'augementation du salaire il en soit ainsi, oui je suis pour. Et que la participation à la grève ne préjuge en rien du licenciement, aussi.

*Mais* avec deux conditions sur la grève :

1. La non-immobilisation du bien de production, et donc la possiblité de trouver des remplaçants temporaires (forcément payés plus chers, ça a un coût pour l'entreprise).

2. Qu'on n'ait plus la généralisation pour certains grêvistes d'avoir de toute façon paiement de leurs jours de grève.

En contrepartie, je suis aussi pour un état plus fort et qui surtout interviendrait plus - le blog de Bereno, que je trouvais extrêmement instructif et dont je déplorais le manque de précautions parce que je redoutais qu'il ne soit amené à fermer (ce qui s'est produit) était éloquent sur les faibles moyens mis en jeu par l'État pour assurer la paix sociale dans les entreprises, alors qu'il y a un appareil législatif.

Reste qu'un certain nombre de grèves du secteur publique sont - à mon sens - un pur abus.

Anonyme a dit…

Pour le paiement des jours de grève, on est d'accord, encore que ce soit bien moins fréquent que bien des gens le pensent.

Le remplacement des grévistes par des intérimaires, c'est interdit par l'OIT...

En revanche effectivement, les piquets de grève c'est aussi illégal.

Moi, je suis pour la grève par délégation. Exemple, dans une entreprise, 10% des salariés sont indispensables à son fonctionnement. Que tous se cotisent pour les défrayer s'ils se mettent en grève...^^

On oppose souvent l'attitude "raisonnable" des allemands à celle des français... oubliant de dire que quand une grève démarre dans une entreprise, de par la force des syndicats, les grévistes toucheront une indemnité de 75% de leur salaire, versée par eux, et cela des semaines durant. Cela fait réfléchhir le patronat, cette "force de frappe". Du coup, il négocie vraiment.

En France, à la SNCF, la direction n'ouvre sa porte qu'en cas de dépôt de préavis.